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#135 Interview des pépites - KNOWLEDGE AND SKILLS

Portrait de Les Pépites Tech
Les Pépites Tech
15/07/2021

Nom du dirigrant : Dr. Ing. Lamice Denguir – Directrice fondatrice de Knowledge and Skills

Docteure ingénieure en génie mécanique diplômée de l’ENSAM, ex-consultante en mécanique et matériaux, +6 ans d'expérience dans des institutions académiques et en industrie.

1. Présentez votre pépite en quelques mots. Quelle est votre proposition de valeur ?

La startup «Knowledge and Skills» administre la plate-forme Knowledge and Skills Portal (KS-Portal): le portail électronique vers des cours d'ingénierie en ligne, des tutoriels et des présentations vidéo de recherche partagés par des ingénieurs et scientifiques d'institutions et d'entreprises internationales. Étant la première proposant la publication de contenu vidéo éducatif et informatif révisé par des pairs pour les ingénieurs et les scientifiques, KS-Portal partage les connaissances scientifiques et développe les compétences en ingénierie avec des cours en ligne, des tutoriels et des cours virtuels en direct créés par des doctorants, des experts et des universitaires du monde entier qui souhaitent partager leurs connaissances et leur enseignement sous forme de contenu à libre accès ou à vendre. Elle offre également un service de rediffusion pour les conférences scientifiques, afin que chacun puisse profiter de leur contenu n'importe où, n'importe quand. Le portail est ouvert aux entreprises, aux indépendants et aux étudiants en ingénierie. Il opère dans les domaines de la mécanique, matériaux, génie électrique, génie industriel, pratiques de l'ingénieur et pratiques du scientifique.

2. Comment avez-vous eu l’idée de ce projet et quel est le problème que vous essayez de résoudre ?

Depuis Septembre 2019, je cherchais un poste conciliant ma passion pour l'ingénierie, mon talent dans la transmission du savoir scientifique et technique avec ma vie familiale tranquille dans l'adorable petite ville de Cluny en Saône et Loire, sauf que, à un certain moment j'étais confrontée à une décision difficile à prendre : choisir entre ma carrière et ma famille. Mettre de côté mon savoir et ma technique acquise en tant que docteur ingénieur au service de l'industrie et de l'université juste parce que ma famille réside dans une zone avare en offres d'emploi correspondant à mon profil me paraissait absurde. Face à cette situation, j'ai décidé le suivant : si la carrière qui me permettrait de m'épanouir ne se présentait pas à moi, c'est que je dois la créer par moi-même, d'où vient ma décision d'entreprendre. Mais entreprendre en quoi ?

J'ai entendu cet extrait "The global online course market is expected to exceed $319 billion by 2025" (Global Online Education Market - Forecasts From 2020 To 2025, ID: 4986759) de la bouche d'un conférencier australien dans un webinaire sur World of Learning Summit (évènement virtuel organisé par le site anglais learnevents.com) au début de l'année 2020. Bien que le chiffre paraissait excessif, il a suscité ma curiosité. En vérifiant, j'ai trouvé que cette étude prévisionnelle était bel et bien sérieuse, surtout que les conséquences du COVID-19 viennent confirmer la tendance mondiale à adopter le e-learning. J'ai décidé de saisir l'opportunité et mettre mes compétences scientifiques, techniques et humaines au service de ma propre entreprise de e-learning, ce qui effacerait les difficultés liées à ma position géographique.

En revanche, face à une offre en e-learning qui explose sur internet, mon projet doit être original et utile à la communauté d’ingénieurs et scientifiques à laquelle j’appartiens. J’ai la conviction qu’un docteur ingénieur comme moi ne doit pas valoriser ses connaissances et techniques acquises le long de son parcours académique et professionnel uniquement dans les articles, les bouquins et les conférences éphémères. D’ailleurs, depuis le 17ème siècle, les journaux et livres scientifiques demeurent la référence numéro un de l’information scientifique et technique utilisée par les ingénieurs et scientifiques à l’échelle mondiale grâce à leur qualité garantie par le processus de révision par des pairs. Jusqu’à nos jours, la publication scientifique et technique reste basée sur le texte, suivant la même forme conventionnelle utilisée depuis des siècles. Encore au 21ème les nouvelles technologies de communication n’ont rien changé de plus que la qualité des graphiques utilisés dans ces papiers et livres et leurs moyens de distribution.

Du coup, le défi de mon projet, même s’il part du concept connu du e-learning, est de faire de la publication scientifique et technique numérique audiovisuelle une référence de confiance utilisable par les ingénieurs et les scientifiques au même niveau que les journaux scientifiques et les livres en adoptant un processus comparable de Peer Review (qualité garantie par la révision par des pairs). Grâce à KS-Portal, les informations scientifiques et techniques de confiance seront audiovisuelles, plus attractives, facilement compréhensibles et moins chronophages pour une nouvelle génération d'ingénieurs connectés qui ont plus que jamais besoin d'une mise à jour continue de leur connaissances et compétences.

3. Aujourd’hui, qui utilise votre solution ? Quelle est votre traction ?

Knowledge and Skills offre des solutions adaptées à deux catégories d’utilisateurs :

D’abord on trouve les chercheurs de formation et d’information scientifique et technique :

- Entreprises souhaitant former leurs ingénieurs employés ou mettre à jour leurs connaissances : peuvent être des bureaux de conseil en ingénierie, des services de maintenance technique, des sous-traitants ou fabricants du secteur automobile, ferroviaire, de l'énergie, d'instrumentation scientifique, etc.

- Particuliers souhaitant acquérir des formations non diplômantes ou accéder ponctuellement à des informations techniques ou scientifiques, qui sont généralement des ingénieurs, des scientifiques et des étudiants en master ou doctorat exerçant dans l'un des quatre domaines couverts par l'offre de la plateforme : mécanique, matériaux, industriel et électrique.

Ces personnes passent beaucoup de temps à chercher l’information technique sur internet ou dans les livres, et rencontrent des difficultés à vérifier la fiabilité de la source de l’information. Ils ont également des difficultés à trouver le bon formateur disponible au bon endroit et au bon moment pour résoudre un problème technique. Knowledge and Skills leur met à disposition l’information fiable consultable à tout moment, d’une qualité garantie par un processus de Peer Review, et leur propose même d’organiser dans les plus brefs délais des sessions avec formateur hautement qualifié en ligne effaçant le frein géographique.

Ensuite, on trouve les créateurs de formation et d’information scientifique et technique :

- Organismes de formation pour ingénieur

- Associations d'ingénieurs ou scientifiques

- Institutions académiques et de recherche scientifique

- Particuliers ingénieurs formateurs, docteurs ingénieurs et enseignants universitaires spécialistes dans au moins une des disciplines suivantes : génie mécanique, génie des matériaux, génie industriel et génie électrique.

Ces créateurs de contenus font face à de multiples problèmes : d’abord la production d’un bon contenu vidéo est chronophage et nécessite un minimum de compétences en multimédia. Ensuite, si l’objectif est de vendre ses formations, se faire construire son propre site web et trouver des prospects est onéreux. Un ingénieur ou un scientifique se trouve rarement disponible pour ce genre de tâches. Pour cette raison, la plateforme Knowledge and Skills propose au formateur de prendre en charge l’édition multimédia de sa création (montage, graphiques, traitements, etc.), la publication de sa création dans la bibliothèque en ligne, avec une prospection offerte via les moyens de communications en ligne gérés par Knowledge and Skills. De plus, elle l’aide à améliorer le contenu technique et scientifique grâce au retour de la révision par les pairs. On ne s’arrête pas là, quand le formateur suscite l’intérêt des utilisateurs de la plateforme, il peut être appelé à animer une session en classe virtuelle et faire valoir ses compétences devant une clientèle internationale.

Actuellement on compte dans notre comité éditorial assurant le processus de révision par des pairs 20 membres (professeurs des universités, professeurs associés et ingénieurs experts séniors) de plusieurs pays (France, Allemagne, Espagne, Portugal, Slovaquie, États Unis, Brésil, Turquie, Oman, Inde et Tunisie).

4. Quel est le business model ? 

Tout utilisateur de KS-Portal peut créer gratuitement un compte utilisateur selon son objectif d’utilisation :

a) Le compte "Apprentice" :

Un apprenant peut consulter des cours, présentations et tutoriels sous forme de vidéos enregistrées accompagnées de support dématérialisé à titre payant (entre 50 et 250 euros HT/cours) avec une offre gratuite limitée. Il peut réserver une place dans une classe en visioconférence avec un formateur à titre payant (entre 250 et 750 euros HT / cours). Il peut également visualiser la rediffusion de sessions de conférences scientifiques partenaires de la plateforme à titre payant ou gratuit (selon le partenaire).

Le prix exact de la formation dépend de la qualification du formateur ainsi que de la valeur technique et scientifique du contenu.

b) Le compte "Talent" :

Un formateur peut soumettre des cours sous-forme de vidéos accompagnées de supports dématérialisés en vue de les présenter à la vente dans le catalogue de la plateforme après une révision par des pairs (Peer Review). Pour l'amélioration de la visibilité du cours créé et l'augmentation de son attractivité, Knowledge and Skills propose un service d’aide à la création et édition multimédia du contenu proposé en supplément à la révision par les pairs. Un formateur peut également proposer des classes virtuelles pour vendre des sessions de formation en direct en visioconférence. La rémunération du formateur lui est versée en pourcentage sur les ventes (40%) à l’exception des classes virtuelles, elle est définie en avance suite à un accord avec Knowledge and Skills. Les services de révision et d’édition sont payants, sauf pour certains partenaires.

Toutes ces opérations se font via KS-Portal dans un espace sécurisé administré par des ingénieurs.

Des tarifications spéciales sont mises en place pour les étudiants et les entreprises clientes, et des conventions de partenariat avec des institutions et des associations.

5. Quelles sont les technologies que vous utilisez ?

Knowledge and Skills emploie un site vitrine (des pages web d’accueil) et un SaaS (Logiciel en tant que service) appelé KS-Portal accessible via le site web où il faut avoir créé un compte pour pouvoir bénéficier de ses services tout en restant dans le Cloud. Ces services englobent la création des contenus, la gestion du processus de révision par les pairs, la création des tests d’évaluation, l’organisation et l’accès aux classes en ligne, l’accès à la bibliothèque et la recherche de contenus, la gestion des achats et des ventes des contenus, la gestion des profils. Ces services dépendent bien évidemment du type de compte utilisé : apprenant, formateur, ou pair du comité éditorial. Contrairement à la majorité des SaaS, la création d’un compte sur KS-Portal est gratuite, mais certains services sont payants à l’unité ou soumis à conditions.

Pour la construction de KS-Portal, la maquette du site et du logiciel a été conçues sur Adobe XD, puis transformées en html. Le Front office (ce qui est vu par les utilisateurs) et le Back office (ce qui est utilisable par l’administrateur) sont en JavaScript et en CSS. La partie développement s’est faite en langage PHP et la gestion de base de données relationnelles est assurée par MySQL Database 7.5. Comme Knowledge and Skills a été acceptée au programme AWS Activate pour Startup et AWS EdStart Innovators pour les technologies appliquées à l’éducation dans la région EMEA, on a tout déployé dans le Cloud en utilisant les services de AWS exclusivement sur les serveurs de Frankfurt en Allemagne pour répondre aux exigences européennes en normes de sécurité et de protection des données. Le site dispose d’un certificat SSL et d’une sécurité Cloudflare. Pour la gestion des moyens de paiement, transaction et de la facturation, ils sont traités indépendamment par Stripe.

De la conception au déploiement, 9 mois se sont écoulés. Ce n’est pas facile à mener surtout que je n’ai pas eu une formation d’ingénieur développeur, mais heureusement j’ai eu la chance de tomber sur un excellent sous-traitant très réactif, qui fait attention aux détails, et surtout qui respecte les délais.

6. Quels sont vos besoins actuels ? 

Les besoins actuels se résument en trois points. Le premier concerne l’approvisionnement de la bibliothèque de KS-Portal en contenus vidéo, ceci n’est pas une tâche évidente car il faut attirer de bons formateurs pour déposer des contenus de qualité proposant des sujets d’actualité et qui soient adaptés à notre audience cible : des ingénieurs en industrie / des scientifiques / des étudiants en master ou doctorants, ce qui n’est pas très commun quand il s’agit de vidéo. Il faut persuader les gens que l’audiovisuel est le futur de la publication scientifique et technique dans le domaine de l’ingénierie qui commence maintenant.

Le second point sur lequel on travaille est la stratégie commerciale. La réussite du projet repose sur sa popularité : augmenter le trafic vers KS-Portal et transformer nos prospects en clients. J’ai la chance d’être encadrée par l’incubateur « Les premières AURA » sur ce point, j’ai eu accès à des formations en marketing, démarche commerciale et stratégie digitale avec coaching personnalisé. Il me reste encore des formations à suivre.

Le troisième point, le plus délicat, concerne le financement. Pour assurer le développement du projet, il ne faut pas attendre qu’il franchisse son seuil de rentabilité pour pouvoir agrandir l’équipe et améliorer le produit/service. Je suis reconnaissante du fait de pouvoir assurer le financement initial du projet grâce au maintien de l’ARE de Pôle Emploi, de la garantie Égalité Femme par France Active Bourgogne et du prêt d’honneur Initiative Saône et Loire par BPI France, que je remercie beaucoup, mais ce n’est malheureusement pas suffisant si on veut perdurer, améliorer le produit, conquérir le marché et développer l’entreprise par l’agrandissement de l’équipe et l’acquisition d’infrastructure. Je suis passée par la phase de recherche de financement initial qui est assez difficile et dure des mois, il faut beaucoup de patience et de persévérances surtout quand on se heurte à plusieurs refus. Pour l’étape suivante de financement, j’explore encore toutes les possibilités et « frappe à toutes les portes ». J’avoue que ce n’est pas évident quand on vient juste de se lancer et qu’on n’a pas encore généré de chiffre d’affaires. Cependant, je reste confiante et optimiste : j’ai déjà réussi la première étape dans des conditions compliquées, et je réussirai la suivante.

7. Qui sont vos principaux concurrents ? Quelle est votre valeur ajoutée ?

Heureusement pour Knowledge and Skills que le concept soit nouveau, je n’ai pas trouvé de concurrents directs redoutables. Par contre, indirectement, il existe des concurrents qui utilisent des moyens plus classiques comme Techniques de l’Ingénieur, la référence numéro un en France de l’information technique dans le domaine de l’ingénierie, basée sur du texte avec illustrations. Pour ce qui est du e-learning en ingénierie utilisant la vidéo, on peut citer l’américain EdX qui fait appel à des universités prestigieuses pour la création de ses supports pédagogiques, mais il est plus populaire pour les certifications qu’il offre et il reste plus adapté aux étudiants en premier et second cycle universitaire pour ce qui est des quatre spécialités de Knowledge and Skills (mécanique, électrique, matériaux et génie industriel). Pour ce qui est de la publication scientifique vidéo révisée par des pairs, elle est encore méconnue dans le domaine de l’ingénierie en Europe. Je connais l’américain JoVE pour des articles vidéos d’expériences scientifiques, mais qui n’est pas accessible à la publication par le commun des chercheurs à cause des frais exorbitants d’une publication vidéo dans son journal (à partir de $1400), ceci n’empêche que la publication scientifique au format vidéo a commencé à gagner de la popularité dans d’autres domaines comme la biologie et la médecine poussant les géants de la publication scientifique comme Elsevier et Springer à commencer à accepter les résumés vidéos (video abstract).

8. Où voyez-vous l’entreprise dans un an ?

Un an c’est très proche dans le parcours de la startup, pour cette courte durée mon premier objectif c’est de confirmer la place de KS-Portal dans le milieu scientifique et son utilité auprès des ingénieurs en évaluant le nombre d’utilisateurs aux deux profils « Talent » et « Apprentice », et optimiser le l’offre en fonction des feedbacks. Dans le jargon de startup, on dit : que le MVP fasse ses preuves. Une fois cet objectif atteint, Il est nécessaire de trouver un financement supplémentaire pour l’année à venir pour agrandir l’équipe afin de minimiser le recours à la sous-traitance. Par contre, si on veut se projeter sur 3 ans, là çà devient plus intéressant car, à mon avis, c’est à partir de cette date qu’on saura si on atteindra l’objectif que notre contenu soit référencé comme publication scientifique, qu’on soit cité et adopté par une communauté influente du monde de l’ingénierie et des sciences de l’ingénieur, que Knowledge and Skills signe des partenariats avec des institutions prestigieuses, et c’est là qu’on commencera à confirmer notre valeur ajoutée et à récolter les bénéfices économiques et moraux visés.

9. Partagez avec nous un moment insolite (succès, échec ou moment fun)

Le meilleur moment depuis le début de cette « aventure entrepreneuriale » est le moment où on m’avait accordé définitivement la garantie du prêt bancaire. Quel soulagement ! En effet, on m’avait imposé tellement de conditions qu’à un certain moment je voyais l’imminence de la fin de l’aventure avant même de la commencer. Mes fonds propres me suffisaient à peine à immatriculer ma boite au registre du commerce et je n’avais aucune autre source de financement que le prêt. J’ai passé plusieurs comités de sélection et toujours on me reprochait la même chose : « pas assez de fonds propres », mais qu’est ce que vous voulez d’une personne qui a passé plus qu’une année au chômage ? Heureusement j’ai passé de justesse le comité de France Active pour l’application du dispositif Garantie Égalité Femme qui m’a par la suite ouvert la porte du prêt d’honneur BPI. A l’occasion, je félicite la France pour l’existence de tels dispositifs car vous n’imaginez pas à quel point c’est important pour des entrepreneures comme moi d’avoir la chance de voir leurs projets se concrétiser et de pouvoir contribuer activement à l’économie du pays et créer de la richesse et de l’emploi au lieu de rester en position d’impuissance, de passivité, voire de précarité pour certaines par manque de moyens financiers propres et par manque d’accompagnement.

10. Si vous aviez un conseil à donner aux autres entrepreneurs...

La patience est votre meilleur allié. Ne baissez jamais les bras.


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